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Comprendre le deuil périnatal en milieu de travail


Avez-vous déjà entendu parler du décès périnatal alors que vous étiez au travail? Votre organisation possède-t-elle des mesures de soutien afin d’épauler les travailleurs et travailleuses devant faire face à cet événement?

Il est fort probable que non. Pourtant, de nombreux travailleurs et travailleuses sont touchés par cette épreuve. En effet, il est estimé qu’au moins une grossesse sur cinq se terminerait par un décès périnatal, soit la perte d’un bébé durant la grossesse (ex. : fausse couche, interruption de grossess, etc.), lors de l’accouchement ou durant le premier mois de vie. Bien que chaque personne puisse réagir différemment à ce genre d’événement, plusieurs études indiquent qu’il est souvent accompagné de symptômes de dépression, d’anxiété et de deuil qui peuvent s’échelonner sur plusieurs mois, voire même années. Comme la plupart des parents traversants cette épreuve font partie de la population active, ces symptômes ne seraient pas sans conséquences pour eux et leurs organisations. En effet, plusieurs parents ayant vécu un décès périnatal indiquent que leur travail a représenté une source de stress importante durant leur deuil. Ils rapportent des conséquences négatives à la fois sur leur bien-être (ex. : épuisement professionnel, difficultés de concentration) et sur celui de leur organisation (ex. : perte de productivité, difficultés de communication avec les collègues).

Étant donné la fréquence et les impacts importants des décès périnataux sur les travailleurs, travailleuses et leurs organisations, pourquoi en entendons-nous si peu parler dans les milieux de travail?

D’abord, parce que la plupart des parents vivant un décès périnatal ont tendance à garder cet événement sous silence, et ce particulièrement dans leur milieu de travail. En effet, plusieurs perçoivent que ce deuil est peu reconnu dans la société et s’inquiètent de la réaction de leurs collègues ou de leur superviseur. Ils craignent que leur deuil soit incompris, banalisé et que cela donne lieu à des commentaires inappropriés ou blessants. À titre d’exemple, certaines personnes pourraient croire que comparativement à d’autres types de deuil, le deuil périnatal serait plus facile à vivre puisque les parents ont eu peu ou pas de contacts avec l’enfant. Or, au contraire, l’absence de souvenirs avec l’enfant peut rendre le deuil encore plus difficile à vivre. De plus, son caractère soudain, inattendu, divergeant du déroulement habituel d’une grossesse, ainsi que son impact important sur les attentes ou projets familiaux des parents contribueraient aux difficultés particulières associées à ce type de deuil.

Ensuite, plusieurs personnes choisissent de ne pas parler de leur décès périnatal afin de correspondre aux normes sociales en vigueur dans leur milieu de travail, qui encouragent une séparation nette entre la vie personnelle et professionnelle. Les réactions de deuil (ex. : tristesse, colère, épuisement) sont perçues comme étant peu compatibles avec celles normalement attendues au travail. Plusieurs employés et employées endeuillés cherchent donc à restreindre au maximum leurs émotions lorsqu’ils sont au travail. Toutefois, il serait difficile de laisser ses émotions à la porte lorsque l’on arrive au travail et tout ce « travail émotionnel » requis pour camoufler ses émotions aurait des conséquences négatives sur le rétablissement des parents-travailleurs/travailleuse, en plus de limiter les mesures de soutien pouvant leur être offertes.

DES MESURES DE SOUTIEN ACTUELLEMENT INSUFFISANTES

Malheureusement, l’aspect tabou du deuil périnatal en milieu de travail a pour effet de laisser peu de ressources pour les travailleurs et travailleuses traversant cette épreuve. En effet, très peu de journées de congé sont habituellement prévues pour permettre aux parents vivant un décès périnatal de vivre leur deuil. Bien que les politiques puissent varier d’un pays à l’autre, de façon générale, lorsque le décès survient avant 20 semaines de grossesse, les parents ne bénéficient d’aucunes ou de très peu de journées de congé. D’autre part, lorsque le décès survient après la 20ème semaine de grossesse, les mères bénéficient généralement de quelques semaines à quelques mois de congé (ex.: 18 semaines de congé au Québec). Par ailleurs, pour les pères, on remarque souvent qu’aucun congé n’est prévu, et ce peu importe le moment du décès. Or, bien qu’ils soient parfois confrontés à des enjeux différents, les pères sont tout aussi affectés par le décès périnatal que les mères.

Au niveau des autres mesures de soutien, il est parfois difficile pour les parents ayant vécu un décès périnatal d’avoir accès à différents accommodements au travail (ex. : lieu ou horaire de travail flexible) ou encore à des ressources d’aide qui sont habituellement utilisées lors de difficulté de santé psychologique (ex. : programme d’aide aux employés). Le soutien social des collègues et du superviseur est également inégal. Alors que dans certains cas, ceux-ci se montrent attentionnés et soutenants, dans d’autres, ils éprouvent un malaise en abordant le sujet du décès périnatal ou vont simplement tenter de l’éviter. En somme, malgré les études de plus en plus nombreuses qui reconnaissent les difficultés associées au décès périnatal, le soutien que reçoivent actuellement les travailleurs et travailleuses vivant cette situation semble insuffisant.

DES PISTES DE SOLUTIONS À NOTRE PORTÉE

La considération et la flexibilité sont probablement les deux mots clés les plus importants à retenir pour bien soutenir les personnes vivant un décès périnatal. Comme mentionné plus haut, les symptômes de deuil peuvent varier d’une personne à l’autre et d’un moment à l’autre. Il est donc nécessaire que des mesures de soutien soient disponibles (ex. : congé), mais qu’elles soient également flexibles et puissent être utilisées au moment qui convient le mieux à la personne concernée. Certains accommodements comme la possibilité d’effectuer du télétravail ou un retour progressif au travail peuvent s’avérer très aidants. En tant que gestionnaire, il ne faut donc pas hésiter à sonder l’employé ou employée endeuillé quant à ses besoins spécifiques afin de mieux soutenir son fonctionnement au travail, en plus de communiquer clairement les politiques et ressources d’aide disponibles au sein de l’organisation. L’employé ou employée peut également prendre l’initiative de partager son vécu et ses besoins avec son gestionnaire ou une personne responsable des ressources humaines. Selon son degré d’aisance, il ou elle peut sélectionner les informations à partager. Par exemple, pour ceux et celles qui se sentent moins à l’aise d’aborder les détails de leur deuil, la conversation peut être davantage centrée sur les difficultés de fonctionnement professionnel occasionnées par les symptômes de deuil et les pistes de solutions possibles.

Ensuite, de façon plus générale, il est important de sensibiliser les milieux de travail au deuil périnatal. Tout comme cela se fait de plus en plus pour les difficultés de santé mentale, il peut être aidant de diffuser de l’information et des ressources à ce sujet à tous les employés de l’organisation. La journée mondiale de sensibilisation au deuil périnatal du 15 octobre peut être une bonne occasion en ce sens. En démocratisant davantage le sujet, cela pourrait inciter les travailleurs et travailleurses endeuillés à chercher le soutien nécessaire et recourir aux ressources disponibles. Cela pourrait aussi corriger certaines perceptions erronées quant au deuil périnatal et permettre aux collègues et superviseurs d’un ou une employée vivant cette situation de se sentir plus à l’aise de le soutenir. La plupart du temps, le simple fait d’offrir une écoute attentive et de proposer des ressources pertinentes peut être une source inestimable de soutien.

Enfin, lorsque le soutien n’est pas disponible ou suffisant dans le milieu de travail, des ressources peuvent également être consultées dans la communauté. Par exemple, certains organismes communautaires ont pour mission de soutenir les parents vivant un deuil périnatal (ex.: https://parentsorphelins.org/) et offrent différents types de ressources (ex.: information sur le deuil périnatal, cafés-rencontres, groupe de soutien). Les groupes de deuil représentent également un endroit privilégié afin partager un vécu commun avec d’autres parents-travailleurs et travailleuses.

J’aimerai vous remercier d’avoir pris le temps de lire cet article et de vous attarder sur le sujet du deuil périnatal en milieu de travail. Plus nous en parlerons, plus les travailleurs et travailleuses ayant vécu cette situation se sentiront reconnus et plus nous serons en mesure de les soutenir adéquatement dans nos milieux de travail.


Sophie Meunier détient un doctorat en psychologie du travail et des organisations. Après avoir travaillé durant 6 ans à titre de psychologue organisationnelle au sein de différentes organisations privées et publiques, elle se consacre maintenant, depuis 2016, à la recherche et à l’enseignement en occupant un poste de professeure au département de psychologie à l’Université du Québec à Montréal. Ses principaux projets de recherche portent sur les déterminants individuels et environnementaux de la santé psychologique au travail.

 

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