Comment les employeurs peuvent protéger les travailleurs contre l’Isolement et la solitude (et pourquoi c’est essentiel pour la santé mental)

A man sitting at a computer with his right hand above his brow, looking stressed

L’être humain n’est pas fait pour exceller en situation d’isolement.

– Robert Zemeckis

 

Les travailleurs isolés de leurs pairs sur le plan physique ou émotionnel présentent un risque élevé de solitude. Que les employés travaillent au bureau ou à domicile, la direction générale et les cadres supérieurs doivent surveiller l’ampleur des liens sociaux et des relations saines sur le plan psychologique pour atténuer le risque d’isolement et de solitude.

Une étude menée en 2022 par Entrepreneur (en anglais seulement) révèle que 72 % des travailleurs du monde ressentent de la solitude sur une base mensuelle, et 55 %, sur une base hebdomadaire. L’étude montre d’ailleurs que 94 % des dirigeants signalent que leur équipe se sent plus seule en télétravail.

Des données de recherches établissent aussi un lien entre l’isolement et la solitude et le risque accru de troubles mentaux des travailleurs:

  • Julianne Holt-Lunstad, professeure en psychologie et en neuroscience de l’Université Brigham Young, a constaté qu’un manque de relations sociales accroit les risques sur la santé des travailleurs autant que 15 cigarettes par jour ou qu’un trouble de l’usage de l’alcool. Elle a d’ailleurs établi que la solitude et l’isolement social sont deux fois plus néfastes pour la santé mentale et physique que l’obésité (en anglais seulement).
  • Un article récemment paru dans The Lancet, revue médicale, explique pourquoi les employeurs doivent absolument se pencher sur l’isolement et la solitude.  Il souligne que se sentir seul aussi peu que dix jours suffit pour provoquer des effets à long terme, et que des symptômes psychiatriques peuvent surgir jusqu’à trois ans plus tard.
  • Sigal Barsade (Wharton School of Business) et Hakan Ozcelik (Université d’État de Californie) ont signalé que se sentir plus seul au travail compromet le rendement professionnel. Leur recherche révèle aussi qu’un plus grand niveau de solitude est lié à un risque accru de dépression, d’anxiété et de suicide.

Voici quelques signes qu’un employé se sent isolé:

  • Il semble s’isoler du reste de l’équipe.
  • Il ne répond pas toujours aux efforts de communication de ses pairs et n’amorce pas de conversation.
  • Il évite les réunions d’équipe sans raison.
  • Il ne semble pas avoir de meilleur ami au travail ou de rapport avec ses collègues.
  • Il doute de plus en plus de lui-même.
  • Son hygiène ou son apparence changent.
  • Il apporte des changements inexpliqués dans ses comportements de travail.
  • Il laisse supposer qu’il se sent déconnecté.

COMMENT LES EMPLOYEURS PEUVENT-ILS ATTÉNUER LE RISQUE D’ISOLEMENT ET DE SOLITUDE?

Selon mes recherches et mon expérience clinique, les employeurs peuvent jouer un rôle essentiel pour épauler les travailleurs afin de renforcer la résilience et réduire le risque d’isolement et de solitude. Une étude menée par Workplace Safety & Prevention Services avant la pandémie a conclu que les employés ayant une plus grande résilience étaient moins susceptibles de vivre de l’isolement ou de la solitude. Les prochaines recommandations visent à permettre aux travailleurs de renforcer leur résilience, de préserver leur santé mentale et de soutenir leur bien-être émotionnel.

Les recommandations suivantes de programmes transformationnels ciblés en prévention et en soutien de santé mentale s’inspirent d’un modèle de responsabilité réciproque pour atténuer le risque d’isolement et de solitude des employés. Ces tactiques reposent sur une approche « Plan Do Check Act » (Planifier, Déployer, Contrôler, Agir). Une étude récente de l’Association canadienne de normalisation indique que les employeurs doivent se pencher davantage sur la partie « contrôler » du processus pour déterminer si leurs efforts portent leurs fruits et si les travailleurs et les dirigeants sont satisfaits.

  • Offrez aux travailleurs et aux dirigeants une psychoéducation sur l’isolement et la solitude pour éliminer la stigmatisation. L’isolement et la solitude présentaient déjà un problème de santé croissant avant la COVID-19, mais n’obtenaient pas l’attention qu’ils méritaient. Bien que la solitude ne soit pas un trouble mental clinique, elle peut nuire à la santé mentale et accroitre le risque d’incapacité et de suicide. Comme les troubles mentaux, la stigmatisation empêche souvent les gens d’aller chercher de l’aide lorsqu’ils vivent de l’isolement ou de la solitude. Dans le cadre de la psychoéducation, on peut se servir de modèles utilisant des documents infographiques, des blogues, des articles et des webinaires sur la sensibilisation pour éduquer les employés sur ce fléau. Les sujets peuvent comprendre le retrait social, l’absence aux réunions, le fait de ne pas répondre aux courriels ou aux appels, les répercussions négatives sur la mémoire et l’énergie et l’adoption de comportements à risque (p. ex. toxicomanie et dépendance alimentaire). L’objectif, c’est de fournir de l’information et du contexte, tout en normalisant et en encourageant les comportements qui visent à obtenir de l’aide.
  • Si vous vous inquiétez, commencez une conversation. En vertu de la législation relative aux droits de la personne, les dirigeants ont une responsabilité légale de s’enquérir (en anglais seulement) pour protéger les travailleurs aux prises avec un trouble mental. La solitude n’est peut-être pas un trouble mental, mais elle peut certainement nuire au rendement. Dans un contexte professionnel, les dirigeants sont appelés à gérer les comportements, et non à poser des diagnostics. Si un dirigeant « devait raisonnablement savoir » que quelque chose ne va pas chez un travailleur, car il observe un changement de comportement soudain, il se doit de s’informer.Par exemple, si un travailleur qui, habituellement, arrive à l’heure aux réunions, répond à ses courriels et fait un travail de qualité commence à prendre des habitudes qui affectent son rendement, il revient au dirigeant de s’enquérir plutôt que de présumer que le travailleur manque à ses obligations. Pour se faire, vous pouvez rencontrer le travailleur et vous en tenir aux faits, sans présumer quoi que ce soit. Votre conversation pourrait commencer comme suit: « Bonjour! Merci d’avoir accepté de me rencontrer. Je voulais savoir comment tu vas. Au cours des deux dernières semaines, j’ai remarqué ton absence à… Ce n’est pas dans tes habitudes. Pourrais-tu m’aider à comprendre ce qui se passe? » Le message devrait être communiqué avec confiance et compassion pour déceler les obstacles ou les difficultés qui se présentent au travailleur. La réaction du travailleur déterminera ce que vous direz ensuite. Un travailleur qui se sent seul pourrait vous confier qu’il a le moral bas et qu’il se sent isolé de ses pairs. Si tel est le cas, vous pouvez lui proposer de faire un plan pour l’aider à se sentir plus proche de son équipe et lui recommander certaines tactiques présentées plus bas. Tous les dirigeants peuvent tirer avantage d’une formation pour promouvoir un milieu sain sur le plan psychologique.
  • Permettez aux employés de dépister l’isolement et la solitude en tout temps. Les outils de dépistage des troubles addictifs peuvent cerner les risques et indiquer le besoin d’une évaluation clinique complémentaire auprès d’un professionnel en santé mentale. L’outil d’évaluation des effets perçus de l’isolement et de la solitude (en anglais seulement) est un outil de dépistage gratuit et confidentiel qui permet aux employés d’évaluer leur risque. L’objectif, c’est de fournir de l’information et d’encourager les comportements qui visent à obtenir de l’aide.
  • Fixez un objectif de l’entreprise pour que chaque employé ait au moins une relation saine sur le plan psychologique au travail. Les employés doivent éprouver un sentiment d’appartenance et se sentir valorisés pour favoriser la sécurité psychologique. Cet objectif peut se mesurer par un sondage confidentiel demandant aux employés leur nombre de relations saines sur le plan psychologique au travail (p. ex., zéro, une, deux, trois, quatre, cinq ou plus). Commencez par donner une définition précise comme « Une relation saine sur le plan psychologique s’entend d’une relation dans laquelle vous vous sentez à l’aise d’être vulnérable et d’exprimer vos opinions sans craindre le jugement ou le ridicule, et vous avez confiance que l’autre personne se soucie de votre mieux-être personnel et professionnel ». Le but, c’est de se concentrer sur la protection plutôt que de présumer que tous les employés ont des relations sécuritaires et saines.
  • Formez les dirigeants pour qu’ils appuient les liens sociaux entre travailleurs. Les dirigeants jouent un rôle critique dans l’expérience des travailleurs, c’est pourquoi vous devez leur apprendre à les protéger contre l’isolement et la solitude. Pour vous assurer que les dirigeants sortent de la formation avec des outils concrets, penchez-vous sur les questions « pourquoi? », « quoi? » et « comment? ». L’objectif est de fournir aux dirigeants des conseils et des outils pour atténuer le risque psychosocial de l’isolement et le danger psychosocial de la solitude.
  • Encouragez la direction générale à inscrire les liens authentiques à l’ordre du jour. Bâtir et maintenir des liens sociaux authentiques nécessitent des efforts. La direction générale doit insister sur la valeur et l’importance d’investir de l’énergie pour bâtir des liens sociaux. De concert avec les cadres supérieurs, la direction générale peut promouvoir l’importance des liens sociaux sains sur le plan psychologique dans ses communications et faire part des avantages des programmes formels et informels permettant à la main-d’œuvre d’établir des liens sociaux. Ces programmes peuvent inclure des activités sociales ou récréatives, des initiatives ou des clubs de responsabilité sociale, du réseautage entre services, des rencontres en personne, des activités de groupe et des initiatives de soutien. L’objectif est d’ancrer l’importance d’un sentiment d’appartenance chez tous les travailleurs et dirigeants pour permettre à l’entreprise de battre son plein.
  • Cernez les approches cognitivo-comportementales qui ciblent les risques d’isolement et de solitude et qui visent à les atténuer. Acceptez que certains travailleurs et dirigeants puissent se sentir isolés ou seuls. Dans mon livre intitulé The Cure for Loneliness, j’explique les pièges mentaux (p. ex. croyances erronées acquises) qui influencent nos sentiments, nos pensées et nos gestes et qui nous privent de liens sociaux. Par exemple, une personne pourrait vivre de l’anxiété qui la porte à croire que ce genre de lien n’est pas dans son intérêt supérieur. Les interventions pour aider les employés renfermés dans l’isolement et la solitude à bâtir des liens authentiques peuvent atténuer le risque de troubles mentaux. Idéalement, ce genre de programmes s’étend sur une période de huit à douze semaines et comprend des mesures, des formations et du soutien pour bâtir des liens authentiques sur le plan personnel et professionnel. Le but est d’offrir aux employés qui nécessitent une aide supplémentaire un programme axé sur l’apprentissage et l’adoption d’habitudes qui permettent de créer et de maintenir des liens authentiques.
  • Explorez les applications de santé mentale qui visent à briser l’isolement et la solitude. Les applications de santé mentale sont souvent peu coûteuses et un excellent départ pour encourager le changement comportemental ou inciter les gens à aller chercher de l’aide sans craindre la stigmatisation. Par exemple, Hugr Authentic Connections est une application conçue pour aider les gens à se sentir plus connectés et encourage les employeurs à ne jamais sous-estimer l’importance de la santé mentale.
  • Proposez des programmes de soutien aux employés. Les travailleurs ou dirigeants qui se sentent seuls ou isolés peuvent parfois tirer parti d’une aide professionnelle. Lorsque vous présentez les soutiens de santé mentale en milieu de travail (PAEF, services psychologiques, etc.), précisez que ces programmes peuvent être utiles pour une variété de préoccupations de santé mentale, comme l’isolement et la solitude.

Les employeurs peuvent faire leur part pour protéger les employés et les dirigeants contre l’épidémie mondiale de solitude en attaquant ce fléau avec l’approche Plan Do Check Act. Cependant, ils ne devraient jamais présumer qu’un programme ou une politique suffit. Il est donc recommandé de mesurer et d’évaluer les programmes pour confirmer leur efficacité.

Les liens sociaux authentiques sont essentiels pour une bonne santé mentale au travail et, bien qu’il n’existe aucune solution miracle pour encadrer les employés et leur permettre de créer et de maintenir des liens sociaux sains sur le plan psychologique, les employeurs peuvent atténuer les risques en préconisant les contacts sociaux et la résilience. Les travailleurs sont moins susceptibles de se sentir seuls et isolés si on les aide à renforcer leur résilience.